Un pont levis face aux convergences

Alkasushi DS2

Je vous retrouve aujourd’hui en compagnie de Sam pour cet exercice d’analyse. À la lumière de cette superbe lune et autres astres ci-dessus, dessinés par Alkasushi. Des retrouvailles avec, encore, un nouvel article sur Death Stranding 2 que j’espère un peu plus court que d’habitude (Objectif raté).

J’ai, en effet, déjà beaucoup écrit sur le jeu depuis ces trois dernières années, et je suis plutôt satisfait de la vue d’ensemble que mes articles forment.

Cependant, il me reste quelques éléments à apporter sur un concept qui se forme lentement depuis le second trailer. En effet, il semble que tout s’enroule autour d’une idée de convergence. D’une forme de singularité au sens physique du terme.

Sans plus tarder, plongeons ensemble dans ces ultimes lignes avant la sortie du jeu le 26 juin 2025.

Le monde de Death Stranding est un monde post-apocalyptique. La civilisation organisée en grands groupes urbanisés a laissé place à la nature. Et ces espaces sauvages sont ponctués par des abris survivalistes. Des bunkers robustes où les habitants isolés se terrent et vivent suspendus aux livraisons des « porters ».

Ce monde est un monde explosé dans lequel la « matière sociale » s’est éparpillée. Et si l’on veut présenter les choses sous un angle différent, nous pourrions dire que, ce qui fut autrefois uni et dense, a connu un Big Bang.

En effet, le Big Bang décrit l’évolution de notre univers dans ses premiers instants. Le passage d’un état extrêmement dense de la matière à l’univers très éparse que nous connaissons.

Histoire Big Bang

Dans la mesure où, l’enjeu principal de Death Stranding est la diffusion du réseau chiral, nous pourrions également parler de « Grand boum » de la connaissance. Il ne faut pas oublier que chaque lieu fonctionne comme une bulle et le savoir qui s’y trouve ne parvient pas au voisin le plus proche.

Autrement dit, le travail du joueur, de Sam, est une tentative de réunifier les parties. De faire converger le savoir et les gens pour permettre à nouveau à l’Homme d’avoir les mains sur son avenir.

Avec un soupçon d’extrapolation et de poésie, nous pourrions donc dire que le premier jeu est un Big Bang que l’on cherche à recoudre.

Une théorie « achirale » au Big Bang réside dans le Big Crunch. Cette idée selon laquelle l’univers, devenu froid et très peu dense, risque de se contracter à nouveau sur lui-même. Un retour à l’état d’origine en un point nommé Singularité.

Big Crunch

Néanmoins, il s’agit d’une théorie qui ne fait plus vraiment consensus parmi les scientifiques. Pour autant, cela reste un terreau très prolifique pour la science fiction et je pense que Kojima Productions s’en inspire pour Death Stranding 2.

L’un des effets de cet effondrement terminal se situe dans le rapprochement physique des corps célestes. Les galaxies se rapprochent, l’univers se densifie.

  • Death Stranding 2 Moon
  • Death Stranding 2 nébuleuse du crabe
  • Death Stranding 2 Lune

C’est ce que nous pouvons observer dans les derniers trailers avec la lune ou encore la nébuleuse du crabe (bravo Jacklab pour avoir identifié ça).

En d’autres termes, les catastrophes que l’on observe dans le jeu sont peut-être liées au renforcement des interactions gravitationnelles et électromagnétiques de ces astres. Peut-être qu’elles agissent comme un catalyseur pour le Death Stranding.

Une autre forme de convergence réside dans l’émergence de la grève dans le monde de Sam. La poix, l’abysse, les échoués,… En bref, tous les éléments métaphysiques présentés dans le premier jeu. La vie et la mort se côtoient, à défaut de se succéder, mais c’est aussi une fusion de l’onirique et du réel.

En dernier lieu, la convergence entre l’Homme et la machine sera un thème majeur du jeu. Le recours à l’IA et notre rapport à la mort à travers elle. Un sujet que j’évoque depuis trois ans, mais qui vient donc ici se greffer à cette thématique de réunion. Les morts pourraient être maintenus en vie dans des machines et être mis au travail via le réseau chiral?

De toute évidence, l’univers de Death Stranding 2 est donc comparable à un Big Crunch. Mais un point particulier de ces convergences exprime plus qu’il n’en dit.

Death Stranding est une fresque vidéo-ludique qui va passer de Mario à Donkey Kong en passant par le versus gaming et autres genres. Avec cette œuvre, Hideo Kojima repense le jeu vidéo en connectant la modernité de l’Open World aux concepts premiers des jeux d’arcade. En réaffirmant la traversée comme un élément ludique constant et non pas un temps calme et peu actif.

C’est un jeu qui tente de faire le lien entre le passé et le futur. Ainsi, il se trouve bourré de références plus ou moins subtiles.

Mario Beach

De surcroît, les trailers de Death Stranding 2 sont eux aussi bourrés de références. Par exemple, les plus faciles à voir:

  • Le chat ailé de Boktai
  • Le DHV Magellan, mélange de Rex et du vaisseau Laplace (Lunar Knights)
  • Le cyborg ninja
  • Le bras mécanique de Tarman
  • Neil qui devient littéralement Snake l’espace d’une minute
  • Neil qui mime Cliff

La liste n’est pas exhaustive, mais vous trouverez aisément des créateurs qui répertorient tout ceci.

Il semble que DS2 soit également une convergence du travail d’Hideo Kojima. Une thématique qui rappellera presque une version élargie de Metal Gear Solid 4 et sa fiction métastasée. Un récit de monstres chimériques que le joueur doit conduire vers une défragmentation.

Metal Gear Solid 4

Dans ce cadre, c’est sous les ailes d’une victoire, les ailes de la déesse Niké, que Snake fait une apparition mémétique. Dans une apothéose faite de feux d’artifice. Comme une célébration de la guerre. On imaginerait presque les applaudissements d’un public enthousiaste, déjà enflammé par l’approche de Metal Gear Solid Delta. Enfin le retour de la vraie guerre!?

Ce Snake-ci attends gentiment son heure dans un cimetière, sous les traits de Neil. Ou plutôt lieN. Un contrebandier, un livreur illégal. Comme une opposition fraternelle à Sam. Ils partagent d’ailleurs une origine narrative commune dans cette relation à Lucy, cette image de Cliff et cette connexion à Bridget.

Deux enfants d’un même auteur. Sam et Neil. DS et MGS. La corde et le bâton.

DS2 Neil Snake

C’est une image qui en vaut cent. Peut-être un soupçon de regrets chez Kojima? Metal Gear Solid brille de mille feux dans cette cérémonie dédiée aux armes et à la guerre. Dans tout ce que les Etats-Unis produisent et propagent de pire. La facette sombre de l’Amérique que Death Stranding présentait déjà à égale valeur avec sa facette lumineuse.

On peut d’ailleurs voir Neil avoir un rictus l’espace d’une seconde. Comme si cet univers n’avait rien à faire dans sa tête. Rien à faire dans Death Stranding.

Mais, si la déesse de la victoire est présente sur l’épaule de Neil, c’est peut-être pour rappeler que Metal Gear réussit à ne jamais prôner la guerre tout en la rendant amusante. Grâce à sa virtualité assumée, voire ostentatoire, la victoire du message émerge de l’échec volontaire de la fiction à se maintenir sérieuse.

Son triomphe réside dans son approche postmoderne du récit et assurant la transmission du message aux générations futures. Neil, MGS, sera victorieux d’une façon ou d’une autre. Comme le triomphe de Cliff vit à travers Sam.

Death Stranding transforma le bâton en corde. Le second fera converger les deux au sein de Drawbridge.

Par conséquent, si Neil interprète Snake, il ne faut pas s’arrêter à la simple référence. Car ce que les derniers trailers montrent du jeu, c’est aussi et surtout une réunion des gameplays. Un point de rencontre entre Death Stranding et Metal Gear Solid.

  • Non seulement un gameplay de connexion étoffé : celui du premier opus.
  • Mais aussi un gameplay de séparation éprouvé : celui de Metal Gear Solid.

Saut à plat ventre, tir couché sur le dos, pistolet à la hanche, customisation des armes, customisation des véhicules, tenues de camouflage,… Le panel a l’air très large. Il sera très certainement plus travaillé que celui du premier opus.

DS2

Le ton est donc donné. Il est résolument plus disposé à l’action et prêt à répondre à chacune des intentions du joueur.

Si Kojima fait se contracter à ce point son univers, c’est qu’il ressent un doute et un danger dans ce phénomène. Il cherche donc à créer un contexte favorable à la diffusion de son message.

La caractéristique principale de la convergence de Death Stranding 2 repose sur une connexion distante. Une solution trouvée à un problème qui vient directement modifier nos rapports sociaux. La connexion n’est en effet plus directe mais intermédiaire. Et un intermédiaire géré par un tiers.

Quel contrôle avons-nous sur cette connexion? Est-elle équivalente à une connexion directe? Quelle est la nature de l’échange que nous faisons pour entretenir ces liens? Un peu de notre vie privée? Un peu de notre pilotage? À qui donnons-nous ces clés? Et pour quel usage?

J’ai déjà abordé dans mon premier article les concepts qui sous-tendent les films de sous-marins. En résumé, nous pouvons dire qu’au sein d’un sous-marin, l’extérieur est l’ennemi et l’intérieur est la survie. Fragile a d’ailleurs une ligne qui exprime plus ou moins la même chose dans le dernier trailer.

Post Covid, nous avons tous été propulsés dans un « sous-marin » numérique. Un véhicule à taille de foyer qui parcourt Internet pour se connecter à l’extérieur. Pour travailler, s’amuser, apprendre,…

Mais la question qui se pose est de savoir à quel point nous avons pu faire de l’extérieur un ennemi?

Pire encore, nos « sous-marins » virtuels sont connectés par des intermédiaires. Tous ensemble, rassemblés par des câbles qui convergent vers quelques tiers. Donc, en étant plus direct, l’image que l’on obtient du monde extérieur est désormais largement fournie par Google, X, Meta, Microsoft, TikTok, Instagram, etc.

Est-il possible qu’à certains degrés nos ennemis nous soient désignés par ces intermédiaires? Nos pensées sont-elles volontairement influencées? Comment réagir? Comment s’en libérer?

Vous l’avez compris, cette contraction qui semble sous-tendre chaque élément du jeu n’est qu’une image pour le monde de demain et entrevu lors de la pandémie. Il s’agit du contexte.

Mais Kojima est un vétéran dans cet espace de pensée et jamais le contexte n’est venu aplatir son message. To the wilder you sonne ainsi comme un hymne à la liberté et au libre arbitre, tout en faisant peser les sacrifices que cela implique. Suivre sa voie, c’est bien souvent s’isoler, se mettre en marge du groupe.

C’est donc un appel à se défaire du contexte, aussi difficile cela soit-il. Comme une quête d’acceptation. Et peu importe le filtre que nous décidons d’appliquer à nos vies, il n’y aura pas de réalité ultime. Pas de pilule rouge ou bleue.

Il n’y a aucune forme d’aboutissement transcendant chez Kojima. L’immanence est reine.

Par conséquent, il s’agit de plonger dans notre version de nous-mêmes la plus sauvage. Puis, indépendamment de notre environnement, trouver la foi au sens fondamental du terme. Une démarche qui peut faire penser au Cogito de Descartes sous certains aspects.

L’objectif est de redescendre à l’ultime réalité des sens et des émotions que Metal Gear Solid 2 évoque et que la forme hyperréelle de Metal Gear Solid 3 impose par son lien au cinéma.

Kojima veut nous faire trouver un sens au voyage de Sam, pour en trouver un nous-mêmes. Puis enfin se servir de cette foi comme d’une force créatrice pour bâtir le futur, ensemble. Dans une compétition saine car asynchrone. En parallèle les uns des autres.

Autrement dit, comme le game-design qu’il propose depuis toujours : en évitant le conflit direct. En trouvant un moyen de contourner l’obstacle.

Le casting impressionnant des jeux Death Stranding trouve donc un sens dans cette quête en mettant en scène des Homo Ludens d’autres domaines artistiques. En cela, il est donc également le résultat d’une recherche de convergence des arts de la musique, du cinéma, de la photographie, de l’animation, etc.

Metal Gear Solid 3 The Boss
The Boss se coupe de Naked Snake pour se connecter à son but : La paix

Retenons donc que Kojima érige l’objet de la foi comme une boussole intérieure tout en ayant l’époque actuelle comme contremaître. Sa Mission naît toujours de cette rencontre et Death Stranding 2 en sera une nouvelle matérialisation.

La philosophie de Kojima cherche à maintenir un « parallélisme créatif » en contournant les obstacles. Dans un espace où tout se lie et s’uniformise, le pont levis agit comme un droit à la déconnexion. À prendre du recul. Un droit à s’isoler des masses et autres influences qui ont leur propre cap.

En revanche, il permet de ne pas fermer l’accès à de nouveaux espaces. La connexion émane d’une intention qui se lie à la Mission.

Death Stranding 2 Drawbridge

En ligne avec le schéma créatif dialogique de KJP, Death Stranding 2 rebat les cartes. Il le fait au moyen d’un rééquilibrage de la dimension candide du premier jeu.

Par conséquent, il pose une question rugueuse à l’opus précédent et son joueur : Should we have connected?

Et ce travail passe par la mise sous tension des accomplissements du joueur il y a cinq ans. Pour redéfinir les contours de la Mission de Sam en fonction de cette nouvelle ère qui approche.

Comme une corde tendue vers l’avenir qui se transmet de la fiction vers son public. Afin de trouver une issue immanente au nihilisme et à nouveau battre cet environnement qui s’impose à nous, sans concession.

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