Death Stranding 2: On the beach?

C’est en compagnie de mon propre BB28 que je vous retrouve pour cet article à propos de Death Stranding 2. Devenir père d’une petite fille donne une profondeur supplémentaire à Death Stranding. Penser et construire le futur n’a jamais été aussi concret pour moi même si cet élan s’accompagne nécessairement d’un manque de temps grandissant. C’est une des raisons pour laquelle ces lignes sortent si tard, mais ce n’est pas la seule.

J’ai pris mon temps pour rédiger cet article tout simplement car j’ai déjà écrit beaucoup de choses en amont. Des choses justes et d’autres moins. Mais il me semble avoir dressé une fresque qui trouve certains échos dans ce trailer. Cela dit, je dois avouer qu’il m’a laissé perplexe sur quelques points qui restent encore aujourd’hui en suspens.

Le trailer est très singulier, beaucoup d’éléments sont difficiles à connecter. En surface cela ne semble pas énormément évoluer par rapport au premier.

Mais les apparences sont souvent trompeuses. Je vais donc tenter de lever autant que possible ce voile de mystère avec vous. Je ne discuterai pas de chaque détail. Certains l’ont déjà fait très proprement et très intelligemment.

Je vais plutôt tenter de capter les intentions de fond qui devraient nous aider à donner un sens à l’ensemble. La bonne nouvelle est que, bien que je me sois probablement trompé (désolé d’avoir hypé si fort les fonds marins), il me semble que ce n’est qu’une question d’assemblage et qu’il me faut donc simplement emboiter les pièces différemment.

Si nécessaire, pour traduire les phrases en anglais, je vous invite à utilser DeepL.

Commençons donc très simplement par revisionner le trailer de Death Stranding 2 pour ceux qui ne l’ont plus en tête:

Cet aperçu de presque dix minutes pose l’objectif du jeu de façon claire. Après avoir rebatit les Etats-Unis d’Amérique, la tâche qui nous revient n’est, ni plus ni moins, que de reconnecter le monde.

Magellan
Le tour du monde effectué par les vaisseaux de Magellan.

Le voyage débute par le Mexique, frontière naturelle des ex-USA. C’est une Fragile érigée au rang de commandante de Drawbridge qui nous explique qu’ici, la situation est la même. Les gens sont isolés et nous devons les connecter. Mais cette fois il ne sera pas question d’étendre la frontière des UCA, au sens invasif du terme. Il s’agit simplement de les connecter au réseau chiral.

Il semble, en effet, que la zone contrôlée par les UCA soit celle d’antan, et que le réseau ait permis son automatisation. Des robots remplacent les livreurs et libèrent, selon les mots d’un orateur inconnu, l’Homme du besoin de se déplacer.

C’est donc sur les zones non connectées, hors des frontières, que Drawbridge opère. L’inconnu, l’inexploré, devient l’espace où l’Homme s’exprime en réponse à une machine qui occupe et gère l’espace connu. Une discussion très actuelle sur notre rapport à l’intelligence artificielle qui arrive sur diverses activités et forcent l’Homme dans des changements complexes.

En réalité, c’est une situation que nous avons déjà connu la première fois que nous avons connecté l’Ancien au réseau. Ce dernier refuse l’entrée au sein des UCA mais accepte volontiers le réseau. Ainsi, les structures (ponts, cordes, échelles,…) sont bel et bien partagées. L’utilisateur peut exploiter le réseau de livraison mais il n’a aucune obligation de partager ses données avec son contracteur. C’est une situation confortable qui permet à l’Ancien de recevoir ses médicaments sans pour autant être contraint d’intégrer un projet national.

Apporter le réseau au monde et le connecter. La mission semble par nature louable et bien intentionnée. Mais est-ce réellement désintéressé?

D’après Fragile, Drawbridge est une entreprise civile financée par un bienfaiteur mystère ayant accès a d’énormes ressources monétaires et technologiques. Un bon samaritain que Sam associe immédiatement à un ponte des UCA. Le DHV Magellan montre l’étendue des moyens à disposition.

La question se pose donc immédiatement. Qui aurait intérêt à secrètement déployer le réseau chiral par le financement d’un groupe privé dans le but d’étendre les frontières du réseau?

La réponse est, à mon sens, dans cette citation, comme je le suspectais déjà dans mes articles précédents.

APAS semble être le nom des Services déployés par l’APAC. Un service public automatisé ayant pris la suite de Bridges après qu’ils ne se soient retirés. Il s’agit de robots et d’intelligences artificielles qui s’occupent de réaliser différentes tâches (dont les livraisons) au sein du territoire couvert par le réseau.

Si quelqu’un a intérêt à déployer le réseau c’est donc bien l’APAC. Connecter le monde revient en effet à accroitre le marché de ses services et son influence. Drawbridges serait donc l’un de ses bras invisibles.

Cependant, la bague portée par Fragile sur « son âme artificielle » montre peut être un consentement de façade. Ou plutôt une symbiose, au sens biologique du terme. Deux entités qui collaborent pour un bénéfice mutuel (ou non!). Un peu comme Kojima Productions et Sony, via Guerrilla, sur le moteur Decima et la licence Death Stranding. Un mode de fonctionnement qui peut tendre vers des mécanismes parasitaires, à l’image de ce qui est développé dans MGSV.

Le moteur de jeu qu’ils développent mutuellement a d’ailleurs beaucoup évolué.

Nous l’avions vu dans un article précédent, ce monde où des machines font les trajets (conceptuels) à notre place, fige notre univers et nous enferme dans des bulles toujours plus petites. Une zone standardisée et allergique à la prise de risque qui met sur la touche tout ce qui dérange et permet potentiellement la remise en question.

Or, du risque, il semble que c’est bien ce que nous allons rencontrer dans cet open world. Death Stranding posait un espace de jeu figé dans un but précis: permettre la prévision et reprendre en main le futur par ce biais. Sa suite prend un chemin chiral, si je puis dire. Tout semble dynamique et les constructions ne sont pas à l’abris de catastrophes naturelles. Le trajet n’est plus certain et demande à celui qui le parcours de revoir ses plans.

Dans un espace de cette taille, en mouvement constant, il semble que la place accordée aux véhicules sera très importante. Pour la sécurité qu’ils procurent mais également leur mobilité face à l’urgence des cataclysmes.

Peut être l’occasion pour Kojima de faire référence à « son dieu », Georges Miller et son détonnant Fury Road, au travers d’un gameplay de traversée en véhicule plus travaillé que le premier jeu? Plus travaillé mais peut-être aussi plus varié?

En effet, l’évolution du Decima est intéressante car le DLC d’Horizon Forbidden West apporte des bateaux permettant de traverser les couches d’eau. Il transforme même le « Sunwing » en véhicule sous marin, permettant le franchissement des différentes strates de l’open world. Il est ainsi possible de passer du ciel aux fonds marins sans le moindre chargement.

Je pense qu’il est aisément concevable que ce DLC sorti début 2023 bénéficie du travail de KJP. Cette symbiose avec Guerrilla permet d’envisager la traversée des différentes couches d’espace (ciel, terre, mer) à l’aide d’une multitude de moyens de locomotion.

Mais, le mouvement constant semble également passer par la mise en retrait de la solitude qui marquait nos pas dans le premier jeu. En effet, la poupée à l’image de Fatih Akin devrait nous accompagner sur nos trajets. J’ai très hâte de voir ce qui sera fait avec ce personnage, puisque sa première apparition tourne immédiatement en dérision la tendance actuelle des compagnons bavards accrochés aux derrières des protagonistes. A l’image du bruit incessant d’un Mimir de God of War par exemple.

Dans un contexte où le Covid a propulsé notre monde dans le tout numérique, il n’y a de meilleure allégorie que de propulser des âmes humaines dans des machines. Des machines armées d’ailleurs. Death Sranding 2 semble mettre à l’honneur son action et peut être que cela n’est pas innocent (nous pouvons y trouver beaucoup de références à Metal Gear). Mais nous reviendrons à ce sujet après avoir pensé la nature des robots qui parcourent le trailer (puisque j’ai déjà vendu la mèche).

Tout d’abord, le fait que les fils auxquels ils se trouvent suspendus ne soient pas noirs pose déjà une grande question. En effet, ces derniers symbolisaient leur connexion au monde des morts. Ils venaient par le bas, de sous la terre. L’abysse, refoulant ces âmes, les faisait s’échouer sur Terre comme une vague sur la rive.

Pure intuition donc, les fils blancs, venant par le haut représentent un être vivant projeté dans ces robots. Ou plutôt des consciences échouées dans une machine, l’image la plus absolue de notre état projeté sur internet.. Les fils blancs, descendants, rappellent ceux d’une marionnette et, par extension, un contrôle par une entité supérieure.

Si les cordons noirs du premiers jeu remontaient de l’abysse, la question qui se pose est alors « d’où tombent ces fils blancs » ?

Dans la poursuite de mon hypothèse, il est forcément bon de savoir que Mamoru Oshii fera partie du casting du jeu. Le créateur de Ghost in the shell et Avalon, entre autres, est naturellement lié à cette thématique de conscience errant au cœur d’entités faites de câbles et de métaux . Il est presque certain que Kojima joue une fois de plus avec le quatrième mur en superposant des couches de lecture post modernes en plaçant Oshii sous les traits d’un personnage connecté à ces sujets.

L’univers de Death Stranding 2 semble repousser la frontière entre Ka et Ha, Ghost et Shell, pour les diviser puis les assembler autrement. Un choix visuel sur les corps qui se joue déjà de nos acquis. En conciliant la poix, la machine et l’Homme par exemple. Le BT et l’animal de compagnie. Mais aussi en transformant l’Odradek, une « main » pour BB28, en visage de samouraï géant. Des choix qui discutent très frontalement la question de l’essence.

Le trailer montre de nombreux exemples de créatures hybrides dont la nature nous interroge:

  • Le chat ailé, échoué, fidèle compagnon du capitaine du DHV Magellan.
  • Le capitaine lui même et son moignon de poix, utilise des prothèses mécanisées.
  • Le personnage d’Elle Fanning semble être une hybridation entre un humain et un Cnidaire.
  • La poupée vivante, prenant les traits de Fatih Akin, qui accompagnera Sam dans son périple.
  • Fragile utilise une paire de mains mécaniques.
  • Le samouraï géant à la silhouette humaine mais s’orientant via un Odradek et riant comme un Brise Brouillard sous ecstasy.
  • Higgs se définit lui même comme un fantôme, n’ayant d’humain que son visage.
  • Les robots humanoïdes de l’APAC et leurs éclaireurs, canidés de métal.

Ainsi, dans Death Stranding 2, une conscience est probablement capable d’être stockée ou d’exploiter un support artificiel ou « chiral ». Et peut être que ce Ghost n’est qu’une image, une empreinte de cette conscience passée. Peut-être qu’il n’est qu’une coquille vide, animée par les vestiges de ce qui fût.

Les questions que soulève Ghost in the Shell seront peut-être essentielles à Death Stranding 2.

Dans cet espace où Sam devra affronter des machines, on peut voir la facilité déconcertante qu’il peut avoir à sortir les armes face à elles. Le gameplay a l’air plutôt fluide pour favoriser le passage de la livraison à l’action. Le fait de pouvoir poser son sac laisse entrevoir une véritable tenue de combat qui montre la direction prise par Death Stranding 2.

Ce gameplay orienté action m’a dérouté au début. Death Stranding offrait la possibilité de combattre bien sûr. Mais la Director’s cut sonnait comme un hommage et une émancipation face à d’anciens codes hérités de Metal Gear. Cependant, au vu du trailer, il semble que c’était plutôt un DLC annonciateur. Kojima semble avoir envie de renouer avec son passé.

Mais méfions-nous car tout ceci n’est peut-être qu’un leurre. Une mémoire musculaire qu’il compte exploiter contre nous pour questionner le sujet du précédent jeu. Qu’avons-nous retenu du premier jeu? Sommes-nous des marionnettes prêtes à tirer sur tout ce qui bouge dès qu’on nous lâche un peu la bride?

Peut-être que cette aisance pour l’action représente le fait qu’il est plus facile de s’affronter sur nos réseaux, par machines interposées. Il est plus facile de sortir une arme contre un robot comme il est plus facile de se prendre le bec face à un écran sans vie. Le « tout connecté », tout à distance et sans risque physique, faciliterait donc le conflit et la division?

Avalon
Avalon, un film de Mamoru Oshii, traite de notre rapport aux jeux vidéo, notamment aux jeux de guerre. Il traite également de notre rapport à la réalité.

La potentielle insertion d’âmes humaines dans ces robots poserait des questions morales à nos actes dans le jeu et, métaphoriquement, hors de celui-ci.

L’image qui sort majoritairement de ce tout tient dans la dualité des choses. A la fois connexion et déconnexion. Corde et bâton. La plupart des éléments présentés ont deux symboliques antagonistes:

  • Le bras d’Elle Fanning, membre servant à connecter, est venimeux.
  • Le bras du capitaine est capable de piloter le vaisseau, utiliser des prothèses mais présente un aspect répulsif par nos interactions précédentes avec la poix.
  • La tenue de livreur de Sam arbore un camouflage rappelant un treillis et semble renforcée pour le combat.
  • Un exosquelette sur ses bras semble capable de faciliter le port d’objets lourds mais aussi d’absorber le recul d’une arme.
  • Le chat échoué semble amical malgré la menace que les échoués représentent dans le premier jeu.
  • La bague que porte Fragile n’est pas portée sur sa main biologique, indiquant un consentement de façade?
  • La poupée qui accompagne Sam, inspirée des poupée Bunraku, possède deux visages.
  • Louise dans le premier trailer est à la fois ange et démon, bébé et échouée.
  • Higgs utilise une guitare pour se battre tout en jouant la berceuse de BB.
  • Le DHV Magellan lui même, notre base mobile, rappelle le Metal Gear REX, arme de destruction massive de Metal Gear Solid.
  • Le samouraï utilise un Odradek, outil de traversée permettant d’éviter le danger, pour voir et se battre.
  • La poix, image de destruction du premier jeu, contient des acides aminés. Elle est assimilée à la soupe primordiale qui, en sciences de la vie et de la Terre, est une mixture au cœur d’une théorie sur l’apparition de la vie sur Terre.

Le jeu met l’accent sur la dualité de chaque chose. Il laisse envisager le fait qu’un outil devient corde ou bâton selon les intentions de son utilisateur. Un concept qui était présent dans le premier jeu mais que Death Stranding 2 semble ériger en principe central.

Aurions-nous dû nous connecter si tous nos outils peuvent devenir une menace? Le réseau chiral, outil salvateur du premier jeu, devient peut être une menace par son omniprésence? La grève, par laquelle il passe pour effectuer ses calculs, est peut être de retour grâce à lui?

Les grèves ont une dimension onirique. C’est une sorte d’espace personnalisé contenant notre intériorité. Une zone à notre image que nous rejoignons à notre mort. Mais depuis la connexion du réseau chiral, les grèves et le réel sont donc fondamentalement intriqués.

La question que je me suis posé en lisant le titre du jeu, « On the beach », était la suivante: où est la grève? Avec ces plans dingues et une direction artistique qui devrait enfin faire honneur à son artbook, soit rien n’est sur la grève, soit tout est dessus. Curieusement, le jeu semble ancré dans le réel tout en déployant des visuels spectaculaires et hors de ce monde.

La raison, d’après moi, est que les grèves et le réel ont commencé à se mélanger. Sam et Amelie ont coupé la grève primordiale des autres grèves. Mais est-il possible d’en créer une autre? Une grève artificielle? On l’appellerait, au hasard… le « cloud computing ».

Death Stranding 2: On the beach

En effet, depuis le Covid, c’est bien une part plus grande de notre intériorité que nous projetons tous aux quatre coins de la toile.

Par notre temps libre sur internet mais désormais aussi très largement par le télétravail. Une projection toujours plus large de nous reste enfermée dans ces « nuages » que des machines parcourent, aspirent et compilent pour fournir des données statistiques à diverses entités. Peut-être que les fils blancs tombent alors des « nuages » ? Une grève primordiale, nouvelle menace d’extinction, qui surplombe le réel.

Ainsi, internet et la réalité sont de plus en plus mêlés et je pense que c’est ce que Death Stranding 2 va matérialiser par un mélange des mondes. L’individu se cristallise dans des machines, et les grèves (l’intériorité humaine) infusent donc lentement la réalité.

Ces fantômes de nous que nous laissons perdurent, comme une grotte de Lascaux moderne. Comme le font encore les corps pétrifiés de Pompeï qui nous dévoilent leur univers. La mort, marqueur de l’absence, du silence et de la fin, recule et laisse place à une empreinte numérique de l’individu. Une coquille vide et figée qui hante le réseau pour l’éternité. De véritables sarcophages qui traverseront les âges.

Résumons très grossièrement l’histoire de Death Stranding.

L’humanité est mise sur le fil de l’extinction. Deux champions émergent et doivent décider de l’avenir de l’espèce humaine. Hantés par les défunts et des visions cauchemardesques de l’avenir, Sam et Higgs s’opposent par leurs réactions face à l’absurdité de la vie, face à la mort et l’angoisse existentielle. En effet, le DOOMS, frappant certains individus, est présenté comme une malédiction. Mais il sert aussi d’avantage sélectif.

Ainsi, ce qui transforme lentement Higgs en nihiliste (auto)destructeur, change également Sam en bâtisseur de l’avenir par l’esprit ludique. Il devient l’Homo Ludens, menant l’humanité un peu plus loin, faisant reculer l’extinction d’un cran.

Si je fais ce rappel, c’est parce que Death Stranding 2 présente deux personnage clés dotés d’une « mutation » du même ordre. Nous nous trouvons ainsi avec un schéma similaire au premier jeu à la différence que les mutations en question sont de natures physiques.

Si tout démarre avec la mort et le retour de Sam étant bébé, le premier jeu se clôt sur la mort et le retour de Louise. On peut donc supposer qu’elle devient la dernière rapatriée d’Amélie. Il semble que Death Stranding 2 démarre également par la mort d’un bébé… de Lou. Mais ce sont bien deux « papillons » qui reviennent de l’au-delà, dans deux cocons de natures différentes.

Le premier cocon, évident, est l’espèce de chrysalide dans laquelle se trouve Elle Fanning. La poix semble s’être solidifiée autour d’elle pour garantir son retour. Un retour qui lui vaut des bras armés de nématocystes capables de projeter la dangereuse pluie nommée Timefall.

C’est une mutation intéressante puisque cela injecte un concept mortifère à la fonction du bras de l’Homme, membre de connexion au monde et à l’autre. La mort n’existe plus uniquement comme un risque environnemental (Timefall) mais passe désormais par la connexion humaine également (nématocystes).

Le personnage d’Elle semble représenter un nouveau chemin pour l’espèce humaine. L’actrice étant jeune, elle portera peut-être l’image d’une génération qui internalise les doutes liés à l’avenir, la mort et le temps face aux défis de notre ère. Un mal-être né d’une époque en proie à la perte de sens et à une division grandissante forçant à se forger une carapace et ériger des murs. Et donc, à l’image de ce bras venimeux, nous répandons peut être ce cocktail toxique malgré nous, en nous connectant à un monde hyperconnecté.

Un schéma qui me rappelle l’exubérant Jobu Tupaki du film Everything, Everywhere, All at Once des « Daniels ». Une ado en crise existentielle dévorée par le nihilisme, s’abandonnant à une absurdité toxique permanente en réponse à un mal-être, à une existence déconnectée de toutes parts. Une brèche née de la vie hyperconnectée de sa mère.

Le multivers haut en couleurs qui en nait devient un champs des possibles infini (et méta) en réaction à la surcharge de tout ce qui se connecte à nous, malgré nous, en permanence.

Tout ce qui nous frustre trouve une solution dans ces dimensions délirantes. On se prend à rêver de ce que nous aurions pu être pour mettre fin aux difficultés d’un réel plat, fade, voir repoussant. En faisant ces expériences originales, nous devenons un autre pour s’échapper de soi, de nos vies. Et la course au n’importe quoi est devenue un symbole de notre ère où la réussite est devenue une fin en soi et se mesure en vues, en billets… en « likes ».

Comme le dit Rémi Gaillard, « c’est en faisant n’importe quoi que l’on devient n’importe qui ». Devant cette crise de l’identité qui se nourrit d’un contraste entre rêves et réalité, seule reste l’angoisse Sartrienne et le nihilisme qui lui succède souvent. Tous les personnages se perdront dans ce labyrinthe existentiel pour sauver l’enfant d’un suicide maquillé en bagel de « néantisation » collective.

EEAO est une superbe béquille à cette quête de sens que traverse notre époque. Sa résolution philosophique ne réside pas dans l’espace infini, et presque Lovecraftien, de l’Existence Sartrienne. Il le dépasse purement et simplement. Sa solution réside plutôt dans les fruits de la connexion qui permettent la réalisation de l’existence par la réduction du scope de nos vies. En se concentrant sur ici et maintenant, sur ce et ceux qui nous entourent.

Ce nihilisme destructeur est une thématique que l’on retrouve dans Death Stranding sous les traits d’un Higgs « néantiseur ».

Nommé d’après le Boson (presque Bowser!), « particule de Dieu », donnant sa masse à toutes les autres. Il est enfermé dans un rôle fonctionnel, un outil ludique et scénaristique. En tant que Boss de jeu vidéo, il crée le mouvement de Sam et du joueur, il « donne sa masse » à l’ensemble du jeu en kidnappant la « princesse Beach ».

Son destin immuable et éternel s’oppose donc à l’agenda du joueur « constructeur », bâtisseur de l’avenir et co-auteur du jeu par l’acte ludique. L’angoisse Sartrienne est ainsi dépassée par Homo Ludens (qui contient Homo Faber) et le nihilisme est en échec sur toutes les lectures du jeu.

Il me semble possible que le personnage d’Elle porte ce thème dans Death Stranding 2 étant donné la question identitaire qui est véhiculée par son affiche et la dualité thématique de son bras venimeux.

Le second cocon est en fait la chambre de stase de laquelle émerge Higgs. Un retour de l’antagoniste en cosplay d’Eric Draven, protagoniste principal de The Crow et figure torturée de la vengeance. Il semble se nommer lui même « fantôme ». Difficile donc de ne pas penser à Ghost in the shell à nouveau.

Homme ou machine? Higgs incarne l’image de l’artiste rétro, toute une époque à vrai dire, encapsulée dans un robot. Un futur où la mort n’est plus l’arrêt de l’existence et où l’humain est maintenu en vie artificiellement. Presque émulé. Comme ces artistes numérisés qui reviennent d’entre les morts pour donner leur voix et sortir un nouveau morceau. Transformant la musique en arme commerciale au son d’une guitare électrique électrisante, lui et ses machines de l’APAC représentent un chemin transhumaniste invasif pour l’espèce humaine.

Cependant, il est d’ores et déjà intéressant de se demander qui sera le corbeau nécromancien de notre antagoniste. Qui a ramené Higgs et dans quel but? Surtout que ce dernier semble être au cœur d’un système continental de distribution d’armes. Un système dont l’enjeu serait le contrôle par la violence et la division.

Mais sa quête personnelle est peut-être toute autre. En effet, sa connexion à Louise est omniprésente. On la trouve dans la chanson qu’il chante dans le premier trailer. Sa guitare de combat en joue d’ailleurs les premières notes. On la trouve dans le quipo qu’il porte autour du cou, petit cadeau de départ d’Amélie à Louise.

Mais on trouve aussi ce lien dans ce qu’il ressent en effleurant le pod de BB28. Tel Eric Draven guidé par les visions morbides de sa bien aimée, serait-il revenu venger Louise, troquant un corbeau pour une pieuvre?

Quel genre de lien les unissent? La question reste ouverte.

Ce cocon et cette chambre de stase représentent en fait plus largement deux sarcophages. Et je pense que l’image n’est pas anodine puisque c’est cette représentation qui se trouve projetée sur les nouveaux « Qpid ».

Le Qpid du premier jeu récupérait l’image du monolithe de 2001: l’odyssée de l’espace. En effet, le bloc mystérieux du film de Kubrick se pose en véhicule de la connaissance. Un bloc mystérieux vecteur d’évolution.

C’est une image qui s’adapte parfaitement à ce que nous faisons dans le premier jeu. Grâce au Qpid, nous connectons les preppers au réseau et récupérons les connaissances stockées chez eux pour permettre l’adaptation, l’évolution, face au Death Stranding.

Le nouveau « QPid » porte donc une autre symbolique. Dans l’Egypte antique le sarcophage permettait au mort de continuer à vivre dans l’au-delà tout en demeurant en communication avec le monde des vivants. Il se pourrait donc que notre voyage cherche à faire communiquer des gens depuis l’autre monde? Ou plutôt, avec tout ce que nous avons déjà évoqué, peut-être que nous établirons le système qui permettra aux robots d’accueillir le fantôme numérisé des morts?

No rest for the wicked!

Mais si l’on revient sur nos deux « cocons », l’image est dès lors très claire. De façon fluide et logique, Higgs revient d’entre les morts, de la grève, mais surtout… Elle Fanning en ferait tout autant. Après tout, le sarcophage, comme la chrysalide, est un symbole de transcendance. Et je dirais même plutôt qu’un fragment d’eux en revient. Ka ou Ha ? « Ghost » ou « Shell »?

La question reste, elle aussi, ouverte.

Si le personnage d’Elle Fanning porte un bandage au coude, le lien est facilement faisable avec Lou. Il cache sa tâche de naissance en forme cœur. Mais dans ce cas nous aurions avancé de près de vingt ans dans le temps?

C’est bien une possibilité au vu des dernières images qui montrent Sam dans une tenue proche de celle d’un mécanicien, baluchon sur le dos. Mais cela expliquerait aussi ses cheveux blancs dans le premier trailer.

Kojima expliquait dans sa dernière vidéo HideoTube que le second opus fait immédiatement suite au premier. Et cela semble clair puisque l’on voit plusieurs fois Louise encore enfant, mais aussi Sam dans sa tenue Porter grise.

Cependant, la temporalité reste floue. Elle serait même effaçable. En effet, BB28 aurait été littéralement supprimée de l’histoire par Bridges quatre ans avant notre rencontre avec elle. Peut être comme un écran de fumée? Une désinformation pour dissuader les curieux ayants leurs entrées chez Bridges de remonter la piste de BB28?

Quoiqu’il en soit, si BB28 a été « décommissionnée » quatre ans plus tôt alors nous sommes loin de la vingtaine d’années du personnage d’Elle. Le problème est toujours le même, et donc peut-être qu’Elle n’est pas Louise.

Mais une possibilité émerge de nos paragraphes précédents. Si la grève se mêle au réel, alors le passage du temps pourrait en être affecté? Peut-être que c’est ce qui affecte nos personnages qui rajeunissent? Ou louise qui vieillit? Ou bien les deux?

Quand sommes-nous? Une question qui manque au casting des cinq W.

Un autre point troublant est que cette scène finale se déploie en plaçant Elle Fanning au centre de la mise en scène. Si l’on joue Sam, la chose serait explicable en flashback, comme entre Sam et Cliff pour le premier jeu…

Cependant la présence de Sam et de l’équipage du Magellan rend la chose assez curieuse. C’est d’ailleurs Elle qui se retrouve en débardeur gris quand Sam arbore une tenue stéréotypée d’une équipe de maintenance.

Si je ne doute aucune seconde du fait que Sam sera jouable, je me questionne toujours sur la potentielle jouabilité de Louise. Aura-t-on un jeu en deux parties? Après tout, Louise est la dernière rapatriée d’Amélie. Mais cela fait également écho au tour du monde des navires de Magellan, dont il n’a lui même jamais vu la fin.

Thématiquement, je trouve que positionner Sam entre nos deux « papillons » est un choix plus rationnel. De ce point de vue, il me semble que, en tant qu’Homo Ludens, ce sera à lui, et donc à nous, de trouver à nouveau la voie. Un positionnement à l’image de la ludographie de Kojima. A l’image de Kojima. Peu importe le contexte il faut apprendre à cheminer entre les difficultés, se fondre dans le tout, contourner les obstacles pour réaliser la mission.

MGS4

Mais cela semble aussi un choix très sage et convenu. Habituel. Peut-être un peu réchauffé pour un jeu qui donne l’impression de défier l’absence de prise de risque de l’Entertainment. Un jeu à l’image de Sam et de la mascotte de KJP, qui veut ouvrir des voies nouvelles et abattre les cloisons figées du AAA.

Et après tout, Kojima aime changer son protagoniste de façon quasi systématique. Solid Snake, Raiden, Naked Snake, Old Snake, Big Boss, Venom Snake,… Chacun de ces personnages trouve sa raison d’exister dans la prise de conscience que le joueur et le personnage doivent effectuer ensemble. Non pas pour résoudre un scénario mais bien capter la substance qui vit à l’intérieur.

Alors pourquoi ne pas venir présenter, en 2025, son premier personnage principal féminin?

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